Reporterre | 31 octobre 2023 | Monde

La contre-offensive israélienne sur Gaza vise aussi un pan sacré de l’identité palestinienne : la terre, explique Yasmine Al-Hassan, une activiste environnementale palestinienne.

[English translation below]

Yasmine Al-Hassan est responsable des campagnes publiques de l’Union des comités du travail agricole (Union of Agricultural Work Committees-UAWC). Cette organisation de base de la société civile palestinienne a été créée en 1986 par un groupe d’agronomes bénévoles et travaille à la fois en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les deux portions composant les territoires palestiniens. Ses bénévoles soutiennent des agriculteurs palestiniens, des pêcheurs, des paysans et des communautés rurales.


« À Gaza, c’est l’état de guerre totale. Il y a plus de 7 000 morts et plus de 13 000 blessés, selon le ministère de la Santé [du Hamas]. L’un de nos collègues a été tué dans un bombardement israélien. Un certain nombre de nos collègues ont vu leur maison détruite, leur famille mourir. Depuis le 7 octobre, nous sommes passés en mode « urgence ».

Israël efface sans discernement des hôpitaux, des écoles, des mosquées, des marchés, des quartiers entiers. Gaza est assiégée depuis près de vingt ans, et Israël contrôlait déjà l’accès aux produits de première nécessité. Mais désormais, Israël refuse à une population de 2,3 millions d’habitants, dont plus de la moitié sont des enfants, l’accès à l’eau, à la nourriture, au carburant, à l’électricité, aux fournitures médicales et à l’aide humanitaire.

L’assaut détruit délibérément toute infrastructure permettant aux Palestiniens et à Gaza de subvenir à leurs besoins. Les pêcheurs ne peuvent pas accéder à la mer. Les agriculteurs dont les terres n’ont pas été détruites ne peuvent pas y accéder, de peur de mourir. Les réserves de nourriture diminuent de façon catastrophique : il ne reste que 5 à 8 jours de nourriture dans les magasins de Gaza. Aujourd’hui, il est presque impossible de trouver de l’eau potable. Israël vise explicitement les boulangeries, qui constituent la principale source de nourriture à l’heure actuelle. Il n’en reste plus que neuf dans l’ensemble de la bande de Gaza, pour 2,3 millions de personnes.

Avant le 7 octobre, environ 70 % de la population de Gaza était en situation d’insécurité alimentaire. Aujourd’hui, 100 % de la population de Gaza est menacée de famine. La terre et la mer subiront également des dommages environnementaux inimaginables à la suite de ces attaques, ce qui entravera encore davantage les efforts visant à reconstituer les moyens de subsistance. Fondamentalement, la stratégie d’Israël vise aujourd’hui à assurer que ceux qui ont survécu aux bombes soient condamnés à un avenir sans subsistance.

« Une longue série d’attaques contre les ressources naturelles »

La crise actuelle n’est pas un incident isolé, c’est juste le dernier chapitre de cette longue série d’attaques israéliennes contre les ressources naturelles palestiniennes. La Cisjordanie [la seconde portion de territoire palestinien, avec la bande de Gaza] en est le meilleur exemple. Israël l’a fragmentée de telle sorte que les communautés palestiniennes sont réduites à de petits îlots reliés par des routes — auxquels nous n’avons parfois même pas accès : au moins 654 checkpoints nous isolent les uns des autres. Plus de 60 % de la Cisjordanie se trouve en zone C, sous-administration militaire, ce qui signifie que les Palestiniens y sont constamment menacés d’attaques et de déplacements forcés.

Depuis le 7 octobre, au moins 122 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie, selon le ministère palestinien de la Santé. Il ne s’agit pas d’incidents isolés, mais d’un pic emblématique d’une campagne brutale de violence coloniale déjà existante. Les rues sont très dangereuses en ce moment : les colons qui attaquent les Palestiniens sont armés, organisés et agissent souvent sous la protection de l’armée.

« Nous sommes un peuple inébranlable et très résilient »

Cela va de pair avec le vol de terres : les attaques des colons sont souvent utilisées pour forcer les communautés palestiniennes à quitter leurs terres et à les annexer. Mais en ce moment, cela se produit à une échelle que je n’ai jamais connue.

Il s’agit donc d’une attaque contre la souveraineté alimentaire des Palestiniens. Les autorités israéliennes avaient déjà interdit la récolte de zaatar, de sauge et de l’akoub, des herbes et des plantes sauvages qui sont utilisées dans la cuisine traditionnelle palestinienne. Ils prétendent préserver l’environnement contre la cueillette sauvage. C’est du pur greenwashing, qui sert de couverture au racisme.

« Notre relation à la terre est symbiotique »

Les communautés palestiniennes sont physiquement enracinées dans la terre. Notre relation avec elle est symbiotique, elle est réciproque. Ainsi, lorsqu’Israël attaque notre terre, la détruit ou la vole, il ne s’agit pas seulement d’une attaque contre la terre. Il s’agit d’une attaque contre l’humanité elle-même. Nous sommes les gardiens de cette terre.

Nous devons situer notre situation actuelle dans le contexte de plus de soixante-quinze ans de colonialisme de peuplement violent, c’est-à-dire avant même la Nakba de 1948 [l’exode palestinien] et avant même la création de l’État d’Israël, qui est une colonie de peuplement. Elle repose sur le vol de terres, cela signifie que les populations autochtones palestiniennes sont dépossédées de leurs terres par des colons.

Malgré tout cela et face à tout cela, je ne perds pas espoir, nous sommes un peuple inébranlable et très résilient. Nous sommes attachés à cette terre. En ce moment, les jeunes agriculteurs explorent les coopératives agricoles comme une alternative au système économique néolibéral. Au lieu de mettre l’accent sur les profits, sur la production, et sur l’exploitation de la terre, on met la communauté au centre : c’est de l’agroécologie de résistance palestinienne. Le grand poète palestinien Mahmoud Darwich disait : « Nous avons sur cette terre ce qui donne un sens à notre vie », c’est-à-dire le lien entre la terre et la communauté. Les Palestiniens forment et formeront toujours une communauté. Cela signifie que nous protégeons la terre et que nous nous protégeons les uns les autres. »

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“In Gaza, the survivors are condemned to a future without sustenance”

The Israeli counter-offensive on Gaza targets a sacred part of Palestinian identity: the land, explains Yasmine Al-Hassan, a Palestinian environmental activist.

Yasmine Al-Hassan is advocacy campaigner for the Union of Agricultural Work Committees (UAWC). This grassroots organization of Palestinian civil society was set up in 1986 by a group of volunteer agronomists and works in both the West Bank and Gaza Strip, the two portions making up the Palestinian territories. It supports Palestinian farmers, fishermen, peasants and rural communities.

“Gaza is in a state of total war. There are over 7,000 dead and more than 13,000 wounded, according to the Gaza Ministry of Health. One of our colleagues was killed in an Israeli bombardment. A number of our colleagues have seen their homes destroyed and their families killed. Since October 7, we have been in “emergency” mode.

Israel is indiscriminately wiping out hospitals, schools, mosques, markets and entire neighborhoods. Gaza has been under siege for almost twenty years, and Israel already controlled access to basic necessities. But now Israel is denying a population of 2.3 million, more than half of whom are children, access to water, food, fuel, electricity, medical supplies and humanitarian aid.

The onslaught is deliberately destroying any infrastructure that enables Palestinians and Gaza to support themselves. Fishermen have no access to the sea. Farmers whose land has not been destroyed cannot access it for fear of dying. Food supplies are dwindling catastrophically: Gaza’s stores have only 5 to 8 days’ worth of food left. Today, it is almost impossible to find drinking water. Israel is explicitly targeting bakeries, which are currently the main source of food. Only nine remain in the whole of the Gaza Strip, for 2.3 million people.

Before October 7, around 70% of Gaza’s population was food insecure. Today, 100% of Gaza’s population is threatened with starvation. The land and sea will also suffer unimaginable environmental damage as a result of these attacks, further hampering efforts to rebuild livelihoods. Fundamentally, Israel’s strategy today is to ensure that those who have survived the bombs are condemned to a future without sustenance.


A long series of attacks on natural resources

The current crisis is not an isolated incident; it’s just the latest chapter in a long series of Israeli attacks on Palestinian natural resources. The West Bank [the second largest Palestinian territory, along with the Gaza Strip] is illustrative of it. Israel has fragmented it in such a way that Palestinian communities are reduced to small islands linked by roads – to which we sometimes don’t even have access: at least 654 checkpoints isolate us from one another. Over 60% of the West Bank is in Area C, under military administration, which means that Palestinians are under constant threat of attack and forced displacement.

Since October 7, at least 122 Palestinians have been killed in the West Bank, according to the Palestinian Ministry of Health. These are not isolated incidents, but an emblematic peak in an already brutal campaign of colonial violence. The streets are very dangerous right now: the settlers who attack Palestinians are armed, organized and often operate under army protection

“We are a steadfast and resilient people”.

This goes hand in hand with land theft: settler attacks are often used to force Palestinian communities off their land and annex it. But right now, it’s happening on a scale I’ve never seen before.

This is an attack on Palestinian food sovereignty. The Israeli authorities had already banned the harvesting of zaatar, sage and akoub, wild herbs and plants used in traditional Palestinian cuisine. They claim to be preserving the environment against wild harvesting. It’s pure greenwashing, a cover for racism.

“Our relationship with the land is symbiotic”.

Palestinian communities are physically rooted in the land. Our relationship with it is symbiotic, reciprocal. So when Israel attacks, destroys or steals our land, it’s not just an attack on the land. It is an attack on humanity itself. We are the guardians of this land.

We must situate our current situation in the context of over seventy-five years of violent settlement colonialism, that is, even before the Nakba of 1948 [the Palestinian exodus] and even before the creation of the State of Israel, which is a settlement colony. It is based on land theft, which means that the indigenous Palestinian populations are dispossessed of their land by settlers.

Despite all this and in the face of all this, I’m not giving up hope, we’re a steadfast and very resilient people. We are attached to this land. Right now, young farmers are exploring agricultural cooperatives as an alternative to the neoliberal economic system. Instead of focusing on profits, production and the exploitation of the land, we put the community at the center: this is Palestinian resistance agro-ecology. The great Palestinian poet Mahmoud Darwich once said: “we have on this land that which makes life worth living”, in other words, the link between land and community. Palestinians are and always will be a community. This means that we protect the land and each other.

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